Faut-il être féministe pour être écolo ?

Ces derniers temps, je me pose beaucoup de questions sur le lien entre féminisme et écologie. Comment s’articulent les rapports entre ces deux concepts ? Sont-ils nécessaires ?  Peut-on se prétendre écologiste sans être féministe ? Et peut-on être féministe et passer à côté du débat écologique ? Cette question fait suite à la transition que je constate chez mes consœurs, Elena Sans H, Asmae (ex Take it Green), What What June, etc. qui peu à peu, abordent de plus en plus des questions engagées et ou/féministes. Ce glissement d’intérêt, d’où vient-il ? Cette question rejoint ce terme dont j’ai voulu en apprendre davantage : vous l’aurez deviné, l’écoféminisme.  Je vous partage dans cet article un très bref résumé sur ce passionnant sujet, sans prétendre à établir une quelconque vérité ni exhaustivité. Par ailleurs, le titre a surtout volonté de créer débat, mais n’établit pas un lien par essence.

En espérant vous inspirer à votre tour…

Pour illustrer l’article, j’ai choisi quelques oeuvres de street art rencontrées lors de mon voyage au Mexique…

C’est quoi l’écoféminisme ?

S’il l’écoféminisme se décline sous de multiples formes dans le monde, les écoféministes se rejoignent sur l’idée d’une interconnexion entre féminisme et écologie.

Un mouvement politique avant tout

C’est la Française Françoise d’Eaubonne qui, en 1974, est à l’origine du néologisme dans son essai “le féminisme ou la mort”. Elle y met en lien l’oppression des femmes et la destruction de la planète et “soutient que la révolution féministe est nécessaire à la révolution écologique, puisque c’est la domination des hommes sur les femme et la nature qui fait la crise environnementale” (in L’écoféminisme : une pensée féministe de la nature et de la société).

C’est une urgence que de souligner la condamnation à mort, par ce système à l’agonie convulsive, de toute la planète et de son espèce humaine, si le féminisme, en libérant la femme, ne libère pas l’humanité toute entière, à savoir, n’arrache le monde à l’homme d’aujourd’hui pour le transmettre à l’humanité de demain » – d’Eaubonne, “le féminisme ou la mort”

Mais ce n’est pourtant pas en France que le mouvement va décoller. Aux Etats-Unis, dans les années 80, des mobilisations anti-nucléaires avec à la tête, Starhawk, soulèvent des questions d’éthique environnementale : quand on parle de l’Homme et de la Nature, de quels hommes parle-t-on, se demandent ces écoféministes.

Une histoire de domination

Carolyn Merchant publie en 1980 “The Death of Nature”, où elle relève la transformation parallèle du rapport aux femmes (la fameuse persécution des sorcières) et la vision mécaniste de la nature à la fin du 16e siècle. En d’autres mots, l’analogie entre la domination des hommes sur les femmes et la domination humaine sur la Nature. Toutes deux sont inscrites dans une structure de domination et des rapports de pouvoir.

Dix ans plus tard, Karen Warren étudie ces rapports de domination dans son article “Le pouvoir et la promesse du féminisme écologique” et en appelle à “la libération de tous les “isme” qui montrent l’oppression d’une partie sur l’autre : racisme, sexisme et naturisme” (Catherine Larrère). Par naturisme, K. Warren remet en cause l’évidente barrière culturelle entre nature humaine et nature non humaine. Le premier axe d’écoféminisme dénonce donc des formes de domination.

Une éthique du “care”

Le deuxième axe de l’écoféminisme, fait lui référence à une éthique du “care“: l’importance de la relation à l’Autre (amour, amitié, sympathie, soins, etc.). “To care”, c’est se soucier de toute forme de vie : l’arbre,  la feuille, l’insecte, ses proches, etc. En 1984, Val Plumwood va aussi dans ce sens : se soucier des autres (“to care”) pour “se soucier” (“to concern”) de manière généralisée.

Deux types d’écoféminisme

Pour Catherine Larrière, il existe en fait deux types d’écoféminisme :

  • l’écoféminisme culturel, plus occidental, qui, historiquement est le premier à se développer et dont je viens de résumer les aspects ci-dessus.
  • l’écoféminisme plus social et politique, qui renoue en cela avec l’idée de Françoise d’Eaubonne, celui du Sud. Celui-ci ajoute une troisième forme de domination, la domination (post-)coloniale. Cet écoféminisme met en évidence la souffrance de l’héritage colonial des pays du Sud, et les conséquences environnementales de cet héritage qui touchent plus fortement les femmes.

L’écoféminisme du Sud

Les grands mouvements écoféministes du Sud s’intéressent principalement à la production agricole et au travail sous-estimé des femmes, à l’environnement et au contrôle de leur propre corps. En figure de proue, il y a Vandana Shiva, qui s’est jointe au groupe Chipko en 1991 pour protéger les forêts et Wangari Maathai qui a développé en 1977 le Mouvement de la Ceinture Verte au Kenya pour lutter contre la déforestation. En Amérique Latine, Chili, Brésil et Nicaragua, on retrouve des mouvements similaires. Le documentaire “Ni les femmes, ni terre !” s’intéresse à cet écoféminisme en Amérique Latine principalement. Les femmes dénoncent le viol de deux territoires : le territoire-corps et le territoire-terre.  Tous ces mouvements sont militants et féministes, bien plus proches de la définition de Françoise d’Eaubonne que l’écoféminisme culturel. La dimension sociale y est prioritaire. Car la crise climatique est effectivement un défi social : au niveau géographique, mais aussi au niveau du genre. Les femmes sont 14 fois plus concernées par les dangers de la crise climatique et 80% des réfugiés climatiques sont des femmes.

Saviez-vous que les hommes ont une empreinte écologique plus élevée que les femmes ? Ils consomment plus de viande, utilisent plus d’électricité et la voiture. Mais il serait bien trop simpliste d’accuser les hommes. Le coupable, c’est le système patriarcal et capitaliste. (mis en place par des hommes tout de même, NDLR). Et c’est ce système qu’il faut révolutionner dans son ensemble : pas des individus, mais le mécanisme qui nous fait fonctionner en tant qu’individus. Il en résulterait un monde plus égalitaire et plus juste, plus harmonieux avec toutes les espèces vivantes, clament les écoféministes.

Une forte dimension spirituelle

Vandana Shiva considère que la révolution écoféministe se bat avant tout pour la vie, pour la biodiversité et s’oppose en ce sens au capitalisme patriarcal mortifère.

L’écoféminisme, c’est un appel au pouvoir de la créativité et de la Terre, un pouvoir de vie, de désir.

“L’écoféminisme, c’est accepter sa spiritualité”, explique Vandana Shiva, “revenir au sacré et prendre conscience que la diversité de la vie est la force nécessaire pour régénérer la Terre et éviter son extinction. Avoir conscience qu’on est en vie et que la protection de la vie sont les actes les plus révolutionnaires aujourd’hui : faire attention à la façon dont on mange et dont on s’habille en refusant la fast fashion, et aussi revitaliser la créativité des gens. C’est respecter la vie dans toute sa diversité”.

J’aime beaucoup la conception de l’écoféminisme de Vandana Shiva, que je trouve très concrète. Pourtant, selon Emilie Hache, c’est principalement cette dimension spirituelle qui aurait freiné le développement de l’écoféminisme en France, frileuse sur ses questions du sacré.

Et maintenant ? L’écoféminisme comme éthique

Par ailleurs, nous dit Emilie Hache, au fil du temps, l’écoféminisme s’est dépolitisé pour devenir peu à peu une éthique, voire une théorie étudiée dans les universités. En parlant de “Reclaim” (titre de son recueil, NDLR), Emilie Hache explique que la réappropriation des femmes n’est pas un contre-pied à la société patriarcale. La volonté est de ne pas perdre ce qui a été mis du côté des femmes; la proximité de la nature par exemple, mais de le mettre au même niveau que le reste, de supprimer la relation de subordination. Attention néanmoins, de ne pas amalgamer l’écoféminisme à l’essentialisme : les femmes étant plus proches de la Nature, elles sont le plus à même d’en prendre soin, simplifient certains.

“L’écoféminisme conduit à une critique genrée de la défense masculine de l’environnement mais sans pour autant éviter de parler de nature” – Catherine Larrère.

L’écoféminisme critique la vision masculine de la nature, considérée comme sauvage et violente, rude et donc nécessairement à dominer. La nature est sauvage, certes mais il est possible d’établir un autre rapport : le care, un rapport relationnel, la nature dite communauté.

Enfin, poser la question du genre, ce n’est pas uniquement vouloir l’égalité des femmes et des hommes, mais remettre en question tout le modèle de pensée actuel.

Et si la dimension spirituelle s’est perdue en route, je constate qu’elle reprend peu à peu les armes. Les sorcières sont partout, et ne se cachent plus. Le sacré reprend sa place.

En fait l’écoféminisme est multiforme, vivant et vibrant : on ne peut le résumer à une seule définition. Il est personnel et se décline chez chaque écoféministe. Ce qu’on peut en retenir malgré tout : une réappropriation de notre rapport au vivant et la lutte contre les formes de domination (coloniale et post-coloniale, de la nature, des femmes).

Pour conclure, je me demande si le militantisme disparu selon Emilie Hache, ne reviendrait pas sous une autre forme – sur les réseaux sociaux, mais non moins puissante…Car dans “écoféminisme”, j’entends aussi l’écho, celui que porte la voix de chacune d’entre nous…

Ensemble, puissantes !

Pour aller plus loin

Ce texte est forcément non exhaustif et superficiel, je n’écris pas une thèse sur le sujet ni un récit de vie… Si vous voulez alimenter votre réflexion, voici une liste d’ouvrages, documentaires et podcasts qui m’ont aidée à articuler mon article.

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4 commentaires
  1. Merci pr cet article ! J’avais vu passer des stories sur instagram sans me pencher plus à ce sujet. C’est effectivement intéressant tout ce que tu présentes ici. Très juste et important finalement. Des idées ?

    1. Merci Cécilia, je prépare une série d’articles sur l’écoféminisme et je mettrai des idées de lectures, podcast et autres pour se documenter sur le sujet !

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